Sur TikTok, la promotion dingue de la mode jetable (2024)

Acheter des vêtements pour les déballer et les montrer devant la caméra: le «haul», déjà tendance sur YouTube, a explosé sur le réseau social TikTok. Le hic: des habits toujours moins chers, abordables pour les jeunes mais qui soutiennent des marques à l’éthique discutable.

Sur TikTok, les vidéos s’allongent à l’infini sous #sheinhaul, le mot-dièse, qui répertorie des «hauls» de vêtements de la marque chinoise de fast fashion Shein, comptabilise à ce jour plus de quatre milliards de vues. «Un haul, c’est un format vidéo qui consiste à montrer les bonnes affaires qu’on a faites sur une quantité d’items», éclaire Jean-Baptiste Bourgeois, directeur de la stratégie de l’agence de communication We are social, spécialisée dans les réseaux sociaux.

Devant la caméra, des jeunes —le plus souvent des filles— déballent leurs achats, essayent une tenue, passent à la suivante, en donnant leur avis sur les produits. Des vidéos qui encouragent à la surconsommation, et, inévitablement, génèrent du gaspillage.

@elodie_frnds Big big big haul Shein! 🛍 @SHEIN #haul #shein ♬ Backyard boy - ⚡︎𝗔𝗱𝗱𝗶𝗲⚡︎

Le format n’est pas nouveau, on le trouve sur YouTube depuis des années. «Mais il y a eu une explosion due à deux facteurs», selon Jean-Baptiste Bourgeois. «D’abord, en diminuant les prix, les marques de fast fashion démultiplient le pouvoir d’achat des jeunes. Cela permet à n’importe qui d’imiter les influenceurs, de reproduire le format "haul" et d’avoir autant de produits qu’eux, même avec un petit budget. Ensuite, ça s’est beaucoup développé avec TikTok, parce que la plateforme est plus accessible, elle permet de faire du montage rapidement.»

«J’ai peu d’argent de poche, je veux acheter beaucoup d’habits»

Shein fait figure de proue en la matière parce qu’elle est la moins chère de toutes les marques de fast fashion. «L’équation, elle est simple, quasi logique: j’ai peu d’argent de poche, je veux acheter beaucoup d’habits, donc je vais au pragmatisme, j’achète Shein», résume-t-il. Ce que confirme Lana, étudiante nancéenne de 18ans et adepte de la tendance. «Ce que je me dis c’est: je n’ai pas beaucoup d’argent, et je veux suivre la mode. Pourquoi j’achèterais un petit haut à 30€ alors que je peux l’avoir à 3€ sur Shein?»

La jeune fille elle-même se surprend à constater l’engouement autour des hauls. «J’en fais quand je passe une commande parce que je sais que ce sont des vidéos qui marchent.» Elle raconte en avoir filmé un avec des habits achetés sur Shein et c’est la vidéo qui a cumulé le plus de vues sur son compte. «J’ai déjà eu jusqu’à 74000 vues mais cette vidéo-là a fait 150000 vues.» Plus que la population d’Aix-en-Provence.

Un engouement qui soutient un modèle économique désastreux

Si les hauls totalisent tant de vues, c’est parce qu’ils sont inspirants. «Ça permet de voir les habits portés par des personnes sur lesquelles on se projette davantage, puis souvent, il y a le lien des items dans la description», poursuit Jean-Baptiste Bourgeois. Le problème, c’est qu’avec des prix bradés (moins de 10€ pour un t-shirt), de nombreuses références changées régulièrement et des matières peu coûteuses, cet engouement sur les réseaux sociaux encourage des marques au modèle économique qui entérine «des mauvaises conditions de travail et détériore l’environnement», regrette Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif Éthique sur l’étiquette.

«Pour un prix comme celui-ci, derrière, il y a des conditions de travail délétères»

«Ces vidéos haul sont extrêmement problématiques», insiste-t-elle. Elle estime que ces pastilles sont trompeuses sur trois points. «D’abord, cela biaise le rapport au prix. Quand on vous dit "Ce manteau coûte trente euros, mais ça vaut le coup", c’est complètement biaisé. Ça donne l’illusion d’un prix élevé alors que ça représente juste un tiers ou un cinquième de ce qu’il faudrait payer. On se doute que pour un prix comme celui-ci, derrière, il y a des conditions de travail délétères.» Nayla Ajaltouni met également en garde contre la prétendue qualité vantée par celles qui présentent ces produits. «C’est trompeur, parce qu’on va entendre que "c’est doux" mais ça, ce n’est pas un gage de qualité. Elles jouent les expertes qu’elles ne sont pas. La qualité, c’est la matière du vêtement, la résistance des coutures… la douceur n’est pas un gage de qualité.»

Sur TikTok, la promotion dingue de la mode jetable (1)

Enfin, pour elle, «c’est trompeur sur le volet du marketing parce que c’est de la publicité déguisée. La marque est absente de la vidéo, ce n’est pas annoncé comme de la pub alors que c’en est.» Et pour cause: Shein encourage ces «ambassadeurs» à grands renforts de codes promotionnels. «La marque permet à quasiment n’importe qui de faire des collaborations. C’est assez opaque, mais il y a un système de compte client. Plus la personne est fidèle, plus elle achète, plus elle va recevoir de codes promo à diffuser à ses abonnés, même si elle n’en a que 400», confirme Jean-Baptiste Bourgeois. Et plus elle va cumuler de vues, but visé par ces vidéos pour acquérir de la notoriété. De quoi flatter l’ego de ces aspirantes influenceuses et les inciter à acheter toujours davantage.

Le paradoxe d’une jeunesse écolo et consommatrice

Les créatrices de ces vidéos sont jeunes, «entre 16 et 24 ans», selon Jean-Baptiste Bourgeois, ce qu’il décrit comme «un paradoxe»: «Cette génération est en principe très engagée, militante. Mais c’est aussi une génération qui dépense dans des marques de fast fashion et qui, de fait, encourage des modèles assez condamnables. Il y a une tension entre les valeurs écologiques et la réalité du portefeuille de ces jeunes, sujets à la tyrannie des réseaux sociaux.» Un paradoxe que relève également Nayla Ajaltouni: «On a le sentiment d’une prise de conscience citoyenne, qui est réelle et qui transparaît à travers plusieurs actions. Mais tous ces efforts sont mis à mal par ce type de modèle qui nous ramène dix ans en arrière.»

Lana en est consciente. «Quand on commande, on sait pourquoi on ne paye pas cher, on connaît l’impact sur l’écologie, on sait que les conditions de travail ne sont pas bienveillantes.» La jeune fille se dit d’ailleurs plutôt «écolo»: «Je veux travailler dans le tourisme justement pour apporter un regard écologique. J’en ai parlé pour mon grand oral du bac.» Mais face à la tyrannie de la mode, des tendances qui changent, elle s’avoue découragée: «Est-ce que c’est vraiment ma commande à 100€ qui change quoi que ce soit? Est-ce que nous, à notre petite échelle, on peut faire quelque chose? Je crois que c’est plutôt les marques qui doivent changer leurs pratiques.»

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